De la littérature et l’écrivain engagé en Haïti

Publié le 24 janvier 2024 à 01:41

L’artiste n’est pas seulement celui qui crée, éclate et s’explose, en apportant le beau aux âmes et aux yeux, peut-être.

En temps d’incertitudes, il se trouve pris en otage, aussi. On attend quelque chose de lui pour assurer notre survie. Pourtant, quand l’humain est devenu trop bête, il est urgent de l’adoucir. N’est-ce pas en quelque sorte, l’un des buts majeurs de la littérature ? S’évitant d’une approche minimaliste de la littérature dans cet article (déglingué, mal organisé), il serait question de donner une petite réponse.

Mon propos ne doit pas être considéré comme une prétentieuse volonté méthodologique c’est-à-dire du comment-faire de l’engagement, mais l’insuffisance de parler de l’engagement, par l’acte d’écrire tout justement.

«Le désordre est bon pour le cerveau.»

Pascal Quignard

Dans les années 45, le grand écrivain et intellectuel public Jean Paul Sartre, lui qui prenait sa plume pour une épée après tant d’années de militance, se pose cette question ; que peut la littérature face à un enfant qui meurt de faim ? Après plusieurs décennies, je pourrais poser la même chose à Lyonel Trouillot ou encore à Gary Victor qu’on vient de brûler la maison à Carrefour Feuilles ? Ainsi, la littérature ne peut rien contre la bêtise humaine. Si on me demande que peut À l’angle des rues parallèles face à la terreur des gangs, je ne dirai rien. Plus rien.

Je riai à en crever les murs troués de balles. J’essaie depuis un bon bout de temps de dire quelque chose à propos de notre littérature si pauvre et si faible. De sa puissance trans/formatrice. Pour moi, la fin dernière de la littérature c’est d’adoucir l’homme c’est-à-dire lui enlever sa part de monstre. L’empêcher d’être bête. Cependant, on a un manque constant et terrible d’œuvres fortes c’est-à-dire des œuvres qui s’inscrivent dans une perspective de préserver la vie de l’individu (rires). Triste. Par contre, que peut un Victor face à un enfant qui meurt de faim ? Un Bonel face à un enfant brulé vif à Canaan ? Une fois, les questions sont plus importantes que les réponses. Là, la littérature se veut témoin.

Témoin de l’horreur, de l’inespoir. On ne peut pas créer une œuvre, donner sa voix pour empêcher la guerre. Mais après, on va témoigner de la guerre. Pourtant la littérature devrait être pour empêcher que l’horreur naisse. On est pris en otage, il faut l’avouer. Ne soyez pas hypocrite écrivains et poètes x ou y. Elevez vos voix, et disons tout comme Henry James l’a fait que nous écrivons les ténèbres, nous faisons ce que nous pouvons, et vous serez toujours écrivains c’est-à-dire citoyen de son «temps» et de son «époque» (encre, sueur et salive, Sony Labou Tansi, Seuil, 2015) : mais qui savent que vos histoires ne font pas poids face à l’absence de l’amour chez l’humain.

Les écrivains sont des hommes faibles qui écrivent, quelque fois ils se font des illusions, ils pensent qu’ils ont de grands pouvoirs (oui, ils ont des petites forces). Ils pensent qu’ils peuvent sauver les autres (pas tout à fait). Arrête, on veut parler de la littérature engagée (quoi ?). Tout individu doit être un être-travail c’est-à-dire une personne qui œuvre pour l’avancement de sa société (d’une façon ou d’une autre), surtout par l’acte. Poser des actions. Pourtant, je ne comprends comment l’acte d’écrire suffit pour parler d’engagement (mais il y a des siècles, ils nous le disent ainsi), le poème «Liberté» d’Éluard, est engagé, mais Éluard peut ne pas être un engagé, puisque il y existe des fois une petite limite entre le «créé» et le «créateur». Celui qui écrit sur la prison, par exemple, peut ne pas être jamais allé visiter une prison même un jour durant toute sa vie, ceci dit qu’un écrivain qui s’engage dans ses livres pourrait ne plus savoir ce que veut dire le verbe (bref ?).

D’un effet de cillement, Mackenzy Orcel a soulevé cette cruciale question dans les Immortelles : «Va te faire foutre, Jacques Stephen Alexis! Tu es grand écrivain comme ça et tes livres n’ont pas su enseigner à l’une de tes fidèles lectrices ce que c’est qu’un tremblement de terre. Quel comportement adopter quand ça arrive. À quoi ça sert d’être écrivain? Elle est morte par ta faute. Par l’incapacité de tes écrits à la sauver.» Ici, est née une problématique (peu majeure), l’écrivain face au désastre, à la détresse que subie l’individu, puisque dans cette scène, on voit que la femme s’en fout de la question de l’existence de l’écrivain dans la société puisque celui-ci, n’a pour elle aucune importance face à la perte (passons)…les sont peu de poids souvent. Dans ce récit, la femme a fait une révélation à l’écrivain.

Et «Il faut nous justifier d’être inutiles en même temps que de servir, par notre inutilité même, de vilaines causes», nous a dit Camus (Conférences et discours 1936-1958, Editions Gallimard). Pour Camus, l’artiste se trouve inutile dans un moment où lui-même la situation est incotrolablement, et il s’avoue incapable, et faible. A un certain moment, la littérature ne peut rien aussi face à la perte, et la misère des autres…

Repenser l’engagement en Haïti

En fait, la littérature engagée c’est-à-dire, la littérature sociale qui a pour principale visée de rejoindre les hommes et de les ouvrir à de nouvelles visions du monde, postule que l’écrivain participe pleinement au monde social auquel il appartient et doit, par conséquent, intervenir par ses œuvres dans les débats de son temps…

L’écrivain engagé”, disait Jean Paul Sartre dans Qu’est-ce que la littérature (Gallimard, 1945), sait que la parole est action : il sait que dévoiler c’est changer, et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de changer. Ici, Lyonel Trouillot se joindrait à son modèle d’écrivain engagé dans tous les vices de ses propos (interviews, articles ou récits), mais n’est-il pas toujours une pensée occidentale du concept ? Doit-on toujours penser l’engagement de la même façon que Sartre dans les années 1945 ? N’existe-elle pas une nécessité de repenser totalement cette question, puisque nous ne vivons pas la même réalité et société que Sartre ? Deux fois, les interrogations sont plus importantes que les réponses…

Plus loin, le problème ce qu’on a toujours tendance à penser l’engagement de manière transversale ou selon un schème que nous donne les penseurs des autres réalités. On ne peut se prétendre d’être engagé par l’écrit dans une société qui ne lit pas presque. Du coup, le plus beau projet de la littérature Haïtienne serait repenser l’engagement. En fait, on tend à assimiler cette question à la réduction de l’acte d’écrire. Ce qui n’est pas ferme comme étant position de l’individu pour prendre défense de la population. Quelques fois, ceux qu’on défend ne connaissent pas leur défendeur, ce qui est paradoxalement triste, pour moi. On écrit pour le peuple mais c’est toute section épistémique qui nous lit (une littérature de divan). De ce fait, une démocratisation de la parole militante doit avoir lieu. On descend tout droit dans la bêtise, dans l’horreur, la brutalité, et rien ne peut freiner ceci. Ce n’est pas une impuissance du côté de celui qui écrit mais plutôt chez l’art même face aux actes de l’humain de blâmer durement le mot vivre, face à la monstruosité…

L’écrivain engagé est plus fort tant que cette question va plus loin en tant que prise de position indissociable à l’âme de l’écrivain. Dans l’attente, on fait un pacte entre ses idées-peuple et soi. Ceci, ne peut en aucun sujet à la trahison, une cherté est maintenue dans la mesure où l’individu pourrait se sacrifier au péril de sa vie pour la liberté. Cependant, je préfère parler “d’écrivain convictionel” ceci est moins cher pour l’écrivain puisque à n’importe quel moment il peut renoncer à ses convictions. Prendre l’escalier pour descendre à la malhonnêteté quand surtout il y a une certaine contrainte politique dépend des décisions qui ne lui sont pas, ou menace économique, quand son capital est en danger. On choisit, et on est libre…

La cloche sonne mal : se cloitrer derrière ses « récits à thèses», ses personnages et ses articles de journaux touchant un tas de sujets politiques que même un tiers du peuple n’en jettent un léger coup d’œil suffisent pas pour être un «l’écrivain engagé», c’est-à-dire sûr de savoir où se trouve le mal et où se trouve le bien (Une rencontre, Milan Kundera, Éditions Gallimard, 2009), est une étiquette qu’on colle à côté du nom du citoyen qui écrit, qui prend sa position par rapport au monde. Mais, en Haïti, pour mes amis des lettres l’engagement est un processus dont qui, tout simplement, tend à mettre en histoire (fiction ou pas) la réalité que l’auteur est en train de vivre. Pourtant, il ne s’agit d’une affaire de la politique politicienne. Un sujet, un concept peut faire de l’engagement de l’individu (partant de ce dernier pour dire sa compréhension par exemple l’enfance chez Dany Laferrière, l’enracinnerance chez Jean Claude Charles, la déviance chez les mecs de La Beat generation, le féminisme chez Despentes etc… Pour moi, les écrivains «engagés » en Haïti ne sont que des bourgeois qui veulent prendre conscience (un des vieux chapitres…?

Sur la déification de l’écrivain en Haïti
La question de Dieu/dieu fait mille et un débats dans le monde (toujours). Je ne citerai pas les approches conceptuelles des écrivains sur ce, mais il arrive qu’on déifie ceux qui écrivent en Haïti. Cela, découle, selon ma mince compréhension d’enfant nul, de la crise qui attaque nos pensées et notre compréhension de l’écrivain, ou encore la possibilité d’être écrivain. Deux conceptions sont prises en compte, dans cette affaire ; une conception française et américaine de l’écriture. Le premier nous dit qu’il faut avoir beaucoup lu pour être écrivain et le deuxième nous dit qu’il faut avoir beaucoup vécu…

A quel moment un écrivain est devenu un dieu ? Existe-il un processus de passer écrivain à dieu ou encore de passer grand écrivain à dieu ou de dieu à grand écrivain ? Trois fois, les interrogations sont plus importantes que les réponses. Il est vrai que ces dernières (encore) sont pleinement personnelle l’individu considère ce qu’il veut comme être divin, en ce sens où l’humain atteint un certain elan spirituel.

Pas dans le sens dans un excès d’estime pour ce qu’écrit ce dernier c’est-à-dire ses œuvres. Puisque « Les écrivains ne sont pas des dieux, des stars, des marginaux, des inadaptés, des lunaires… Je me répète, la littérature vient de nous, parle de nous», (Une boite de nuits à Calcutta, Nicolas Idier et Makenzy Orcel, Éditions Robert Laffont, S.A.S., Paris, 2019).

Cette idée, chez mes amis contemporains, de déifier l’écrivain sort, aussi, de notre manque production littéraire dans toutes les sphères sociétales du pays, ainsi la culture de ne pas contredire ce qu’on nomme le maitre (le mot maitre est vulgaire en littérature, ça Jean Cocteau aurait pu se le dire).

En Haïti, on a une littérature sectaire où il y a un groupe qui a l’autorité de la parole (en primauté). Toute leurs conceptions, leurs propos sur une réalité, sur les écrivains, les livres sont vrais et ne peuvent et doivent pas démentis par les autres. Ah les maitre-à-parler du milieu… !

«Je préfère celui qui plonge le nez de son lecteur dans la plaie à celui qui se donne pour mission de l’éduquer, ou l’amuser», disait Makenzy Orcel. Les écrivains engagés en Haïti font les deux, et on nous tue. Si l’écrivain n’est pas toujours responsable de la misère et de l’inesperance de son peuple, il est au moins celui qui ne peut pas empêcher ces maux-ci pas ses mots. Et qui ferait mieux de ne pas en ajouter.

Je ne soutiens pas l’idée qu’un livre peut sauver le monde en 2024. Cependant, un livre peut nous donner quelques goûts à la vie, à l’amour, à la révolte. Et tant d’autres thématiques-vies dont il serait digne de sauver. Nous sommes face à un flux générationnel et mondial constant en ce qui concerne la perte de valeurs que ce soit humaines ou culturelles. Une bataille entre les normalisations des actions générées par les réseaux sociaux, et aussi une descente phénoménale des lectures faites par les gens.

Plus on écrit, plus ils ne lisent pas. Un petit humour gris qui devrait fait nous penser au pouvoir du livre au bas de la moitié du 21ème siècle, où la violence, le mal de quelques-uns rendent heureux les autres. Ça pousse la bêtise humaine, surtout, plus rapide que les fesses d’une nouvelle mariée (rires)…

Bref, tout engagement sans acte est fictif (je le répète, sur ce Castera serait le plus engagé des poètes s’il avait jeté une pierre avant sa mort sur le palais national). Je ne dirai jamais qu’il n’y a pas d’écrivains engagés (faute de mouche serait-elle), mais je ne comprends pas jusqu’à présent comment attendons quelque chose toujours entre les mains de ceux qu’on attaque (comme Trouillot ?).

Le soleil crépite, mais il ne brûle pas. Dans encre, sueur et salive (Éditions du Seuil, septembre 2015), l’écrivain Sony Labou Tansi, a dit ceci : «L’écrivain est celui par qui le scandale descend. Je vais parler», et engager serait veut dire pour l’immense dramaturge africain «Parler». Oui, «Écrire, c’est parler aussi», comme l’a souligné Lyonel Trouillot dans l’Amour avant que j’oublie (ACTES SUD, 2007), cela revient à dire qu’écrire signifie s’engager, c’est trop réductrice cette approche, or «actionner, c’est (ou serait) mieux qu’écrire et parler», ne riez pas…

Ces appréhensions déniées de logiques et de clartés sont dérisoires, elles jettent aux oubliettes le réel étant trop coincées dans l’imaginaire (c’est toujours celui a connu la misère qui devrait décrit la misère aux autres, sinon on mentira quand même), sentant une sorte de commerce d’illusion. Trop ancré dans le fictif, quelques fois, l’écrivain doit sortir dans cette arène, en passant par le réel pour retrouver l’acte (la rue=l’espace-populaire). Si vous me parlez d’écrivain engagé véritable, je ferai une moue d’enfant qui a le dégoût.

Mais si vous me parlez, plutôt, d’intellectuel écrivain ou d’écrivain intellectuel (est-il ou serait-il celui ou celle qui écrit/écrirait des livres d’un côté, s’engagerait de l’autre, ou qui écrirait des livres inspirés par une même conviction de responsabilité sociopolitique?), je resterai serein et vous dis oui, il y en a quelques-uns qui occupent les éditoriaux des journaux…

…à suivre

 

Nb : #Automatisme-i/ré/fléchi

Vilma Kerby

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Kerby Rodeby Vilma

Journaliste et étudiant en droit a l'Universite Publique Aux Cayes


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